Soledad GARNIER : Chronique d’une classe inversée en primaire

Dans un précédent épisode, Soledad Garnier, professeur des écoles à Burie en Charente-Maritime, nous présentait l’année zéro à l’origine de sa prise de conscience de la nécessité de faire évoluer ses pratiques pédagogiques. Cette fois-ci, nous découvrons l’année I consacrée au “bidouillage, chronophage et recadrage”.

L’année I : bidouillage, chronophage et recadrage

Septembre 2013. J’explique à mes élèves puis à leurs parents le principe de la classe inversée et ce qui m’a poussée à me lancer dans cette aventure. Je n’ai pas caché aux premiers qu’on allait se lancer ensemble, apprendre ensemble, et que, peut-être, ça ne fonctionnerait pas. En tout cas, ils savent que j’ai besoin de leur aide. Ils sont dans ma classe depuis deux ans (oui, j’ai changé de niveau l’année précédente), on se connaît bien.
Je m’attends à des protestations lors de la réunion de rentrée avec les parents, mais non, ça passe comme une lettre à la Poste. Je suis même gratifiée d’un “on vous fait confiance” qui me laisse sans voix. Bon, je le reconnais, je triche un peu, je suis dans l’école depuis 12 ans, j’ai eu les frères et sœurs et ces parents-là me connaissent.
C’est donc pleine de confiance, inconsciente que je suis, que je me lance. Comme je ne suis ni têtue, ni excessive, ni impulsive, ni impatiente, je décide de me lancer dans les deux niveaux (CM1-CM2) en mathématiques ET en français, dès… ben tout de suite en fait. Je ne connais aucun outil qui me faciliterait la vie (sinon ce ne serait pas drôle), je choisis donc le logiciel de mon TBI, ActivInspire, et la fonction capture d’écran qui va avec (15 images/secondes-on ne rit pas merci) , le tout sur mon PC.
Et là… Comment dire… Avec cet outil (qui fonctionne une fois sur deux mais on ne le sait que quand on a fini, sinon ce n’est toujours pas drôle), si on bafouille, si le téléphone sonne, si le bébé pleure ou si tout autre événement impromptu survient, on doit tout refaire parce qu’il n’y a pas de fonction “pause” ni la possibilité de tronquer les dernières secondes.
Bilan de ma magnifique première capsule : 5h30 de travail pour 1 : 50 de vidéo. Ça laisse rêveur !
Mais comme je ne suis ni têtue, ni excessive, ni etc… je persévère. Je vous passe le détails des nuits à quatre heures de sommeil, les bidouillages chronophages entre plusieurs logiciels pour obtenir ce que je veux, et surtout, la recherche de l’hébergement idéal. Grâce à mes gentils élèves qui testent inlassablement, tous les soirs, les liens que je laisse à leur disposition, j’apprends qu’Evernote n’est pas une bonne idée parce qu’il faut je ne sais quelle extension à L. et R. pour lire les vidéos, et que Google Drive est un casse-tête quand il y a déjà un compte dans la famille mais qu’ils ne savent pas se déconnecter pour se reconnecter avec un autre compte. Au bout de deux mois, j’en ai assez, je suis épuisée, je jette l’éponge et je le leur annonce. Trois fois ! Mais eux, ils ne l’entendent pas de cette oreille. Apparemment, la classe inversée, ça leur plaît, parce qu’ils ne veulent pas que ça s’arrête. “Oh non maîtresse ! C’est trop bien, j’ai l’impression d’avoir la maîtresse à la maison !”, “On peut la repasser plein de fois, vous dites toujours la même chose alors on ne se perd pas”, “on peut vous mettre sur pause” (le rêve, LOL, NDLA) et j’en passe. Ils promettent de tester encore, assurent qu’ON va trouver une solution. Et en effet, je la trouve, cette solution. J’ai créé une rubrique privée sur le site de l’école, à laquelle les élèves accèdent grâce à un identifiant et un mot de passe. Et ça fonctionne !! Tous ceux qui ont Internet à la maison peuvent accéder aux capsules. Ils sont contents, moi aussi, la classe est maintenant un joyeux laboratoire de recherche dans lequel tout le monde est actif. Je ne parle presque plus (enfin beaucoup moins), et seulement pour dire les choses essentielles, indispensables. Ce sont eux qui parlent, en chuchotant, pour échanger, collaborer, coopérer, argumenter, se mettre d’accord (ou pas), et faire le job : apprendre !
Les parents aussi sont contents, parce que les devoirs ne sont plus une corvée familiale qui se termine dans les larmes et les cris. Certains regardent les capsules avec leur enfant, ils apprennent eux aussi ou se remémorent, ils en discutent à table, et me disent que “c’est drôlement bien vot’truc !”
Maintenant, quand je regarde ma classe, j’ai le sourire et je sais que désormais, j’enseignerai toujours comme ça.
(Bon, il faudra quand même que je trouve une solution pour ne plus me coucher à une heure du matin alors que le réveil sonne à six heures, mais ça, ce sera pour le prochain épisode.)

Retrouvez le précédent épisode dans la #CLINE1.

Soledad GARNIER : Chronique d’une classe inversée en primaire

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