Chronique d’une classe inversée en primaire
L’année zéro : La prise de conscience
Une séance de mathématiques, un beau matin de mai… Les élèves sont en recherche pour découvrir une notion, et moi devant mon tableau, je donne des précisions à tout le monde, après être passée voir chacun. Une séance comme beaucoup d’autres, mais ce matin-là, je ne sais pas pourquoi, je vois ma classe comme si c’était la première fois, et je prends une claque.
Je vois et je sens.
Je sens l’ennui profond d’A. et M. qui auraient sûrement tout juste si je leur donnais l’évaluation dès la première séance.
Je sens la détresse de S., A. et C. qui se demandent comment font les autres pour trouver le début d’un commencement de réponse à ma question dont elle n’entrevoient même pas le but. Elles commencent vaguement un dessin, écrivent des chiffres puis abandonnent très vite, vaincues par la certitude qu’elles sont nulles, ou que les autres doivent posséder je-ne-sais quel pouvoir magique, une grâce par laquelle elles n’ont pas été touchées. La fée Carabosse-Des-Maths a dû lancer une malédiction sur leur berceau, c’est sûr.
Et le reste de la classe essaie, par gentillesse ou résignation (c’était une année “classe-Bisounours”), de résoudre une situation problème pour laquelle ils n’ont pas les connaissances nécessaires (mais c’est bien pour ça que ça s’appelle situation-problème m’a-t-on dit).
Une claque magistrale, donc. Je vois pour la première fois ma classe avec le recul nécessaire et je comprends que je ne pourrai plus jamais faire classe comme ça. Je parle trop, personne ne m’écoute. Qui peut écouter quelqu’un pendant 20 ou 30 minutes en restant concentré sur ses propos ? Ni A. et M. qui savent déjà, ni S., A. et C. qui m’ont déjà posé la même question deux fois, que j’ai noyées dans des explications différentes (si elles ne comprennent pas comme ci, je vais essayer comme ça), ni le reste de la classe parce que des merles se courent après dehors ou que la pluie tombe plus fort que d’habitude. Et là, on a envie de crier, de râler, qu’ils n’écoutent rien, que cette génération est décidément perdue, que ça ne vaut pas le coup de passer des heures à préparer un cours alors qu’ils s’en fichent complètement et que de toute façon ils n’apprennent rien, bla bla bla…
Il faudrait que je parle moins, que je résume ce que j’ai à leur dire, que les plus fragiles disposent d’une méthodologie immuable en attendant de pouvoir accéder au sens, que ceux qui savent déjà viennent quand même pour apprendre, au lieu de faire 10 exercices supplémentaires sur une notion qu’ils maîtrisent déjà.
Bref. Eux ne changeront pas, c’est à moi de changer.
Et puis je me souviens alors d’un reportage sur la classe inversée. Un prof de physiques au lycée. J’avais trouvé l’idée excellente, mais je n’avais pas entrevu en quoi cela pouvait me concerner.
Et pourtant, ce jour-là, j’en suis convaincue, il y a quelque chose à creuser, la réponse est là, j’en suis sûre. La possibilité de donner la même base à chacun, une découverte de la notion qu’on pourrait voir une fois ou quinze fois, faire des pauses, revenir en arrière, une explication brève mais essentielle, toujours la même. Et en classe, tout le monde se mettrait au travail tout de suite, mais ne ferait pas la même chose, chacun viendrait pour apprendre ce qu’il ne sait pas encore faire, et ne perdrait pas de temps à refaire ce qu’il maîtrise déjà.
Ha ! Ha ! Le beau rêve que voilà ! Mais j’aime bien les défis. Je me retrousse les manches, passe mon été à écumer le net en compagnie de mon ami Google, je pénètre dans cette salle des profs idéale qu’est Twitter. Je découvre le monde (bien réel et pas virtuel !) des PédagoZinzins de la classe inversée. Ils sont bien plus nombreux que je ne le pensais, répartis aux quatre coins du monde, et leur manière de concevoir l’enseignement me parle. La classe inversée est bien LA solution à ma problématique, la pratique qui va me permettre de concrétiser ma vision de ce que doit être et faire un élève.
Je n’ai jamais fait de capsule de ma vie (je n’ai même pas eu le temps d’essayer pendant les vacances), je maîtrise 10% des possibilités d’un ordinateur, je ne suis pas franchement ce qu’on peut appeler une geek, mais… même pas peur !
Je décide donc de me lancer dès la rentrée.
Retrouvez la suite de cette chronique en quatre épisodes dans le prochain numéro de la #CLINE.
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